État de la situation
Il est difficile d’évaluer avec précision le nombre de places manquantes en services de garde sur le territoire. Le site La Place 0-5 ans est le portail unique à travers lequel les parents, (futurs et actuels) peuvent inscrire leurs enfants à un service de garde subventionné. C’est à travers cette plateforme que sont compilés les besoins sur le territoire de chacun des bureaux coordonnateurs des centres de la petite enfance (CPE). Les chiffres comprennent tous les enfants qui sont en attente d’une place; les enfants à naître, les enfants nés qui n’ont pas encore de place et les enfants qui ont une place de garde qui ne leur convient pas et qui espèrent une autre place en milieu de garde subventionné (familial ou CPE). Or, cet indicateur est imparfait, car il peut notamment compter des doublons. Notre équipe a utilisé ces données parce qu’il s’agit, malgré son imprécision, du meilleur indicateur disponible pour présenter un aperçu de l’enjeu. Il faut donc utiliser ces chiffres avec prudence.
Selon les données estimées que nous avons pu recueillir, le nombre de places manquantes par MRC ressemblerait à ceci:
Note: lorsque le nombre de places est accompagné d’un « + », il s’agit de MRC où nous n’avons qu’une partie des données. C’est pourquoi nous estimons que le nombre de places manquantes est supérieur au chiffre indiqué, d’où le « + ».
Des conséquences lourdes à porter
Les nombreux témoignages que nous avons recueillis sur ce site en font état de manière bien concrète : les conséquences du manque de places en services de garde éducatifs en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine sont nombreuses et pèsent le plus souvent sur les épaules des femmes. En effet, dans la majorité des couples hétérosexuels, c’est la mère qui reste à la maison avec l’enfant, tant pour des raisons culturelles que financières.
D’abord, plusieurs mères mentionnent l’effet du manque de places sur leur santé mentale. Ne pas savoir si on pourra retourner au travail ou qui prendra soin de son enfant lorsque le congé parental se terminera fait vivre beaucoup de stress et d’anxiété aux parents. L’isolement social vécu par les mères qui doivent demeurer plus d’un an en congé parental ajoute à cette situation difficile à porter sur le plan de la santé mentale.
Le manque de places en services de garde constitue un grave recul pour les femmes, qui se voient privées d’accès au marché du travail. Lorsqu’elles prennent un congé sans solde, les femmes qui y ont accès cessent de contribuer à leur régime de retraite, ce qui les obligera à retarder d’un an ou plus leur départ à la retraite à la fin de leur carrière, ou à voir leur fonds de retraite amoindri.
Les conséquences sur la santé financière des familles sont donc très importantes. Pour plusieurs parents, les recherches infructueuses les amènent à prendre un congé sans solde ou à quitter leur emploi. Les familles doivent ainsi se débrouiller avec un seul salaire ou encore avec un revenu réduit si les parents passent à un emploi à temps partiel, ce qui les place en situation de précarité financière. Si elles décident d’avoir un autre enfant, les femmes qui travaillent moins ou pas du tout se retrouvent avec une prestation du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) moindre lors de leur second congé de maternité, les appauvrissant encore davantage. Enfin, certaines familles réussissent à trouver un milieu de garde pour leur enfant qui se trouve loin de leur domicile, ce qui les force à parcourir de grandes distances quotidiennement, augmentant leurs frais de déplacement et le stress vécu par la famille.
Cette situation ne constitue pas moins qu’un frein au développement régional. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, de nombreux parents, majoritairement des mères, ne peuvent retourner au travail après leur congé parental faute de place en services de garde (Radio-Canada, 2019). Enfin, tel que révélé par de quelques témoignages recueillis, des familles à court de solutions quittent ou pourraient quitter la région (Courtemanche, 2020), alors que beaucoup de ressources sont déployées pour attirer de nouvelles personnes en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine.
Par ailleurs, alors que nous nous trouvons dans une grave pénurie de main-d’œuvre notamment dans le secteur de la santé et de l’éducation, des travailleuses du réseau de la santé, de l’éducation et du communautaire ne peuvent retourner en emploi faute de place en services de garde.
Nous invitons toutes les organisations préoccupées par cet enjeu ainsi que les élu·e·s à travailler de concert afin de mettre en place rapidement des solutions pour pallier cette crise et permettre aux femmes d’avoir de nouveau accès au marché du travail.
Comment en sommes-nous arrivé·e·s là ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer le manque de places en services de garde qui sévit actuellement dans la région. Plusieurs éléments démographiques contribuent à la problématique ; la croissance économique de certaines villes comme Gaspé, le solde migratoire positif depuis 7 ans (St-Onge, 2021) et l’augmentation des naissances sur tout le territoire en 2019 (ISQ, 2020). Ces changements démographiques sans une augmentation du nombre de places contribuent évidemment au manque de places en service de garde.
Ajoutons que dans les dernières années, on note la fermeture de plusieurs garderies en milieu familial : en 2019, dans la ville de Gaspé seulement, cinq d’entre elles ont fermé leurs portes (Radio-Canada, 2019). Si la fermeture des milieux familiaux est une tendance qui s’observe depuis plusieurs années au Québec, notamment en raison de la faible rémunération des responsables de services de garde (Gamache, 2020), la pandémie COVID-19 a exacerbé le problème dans la région, entre autres dans la Baie-des-Chaleurs (Larose, 2020). Les coûts des mesures sanitaires nécessaires pour freiner la pandémie ont engendré d’importantes pertes financières pour les responsables de services de garde en milieu familial (Forcier-Martin, 2020).
Partout au Québec, mais dans notre région aussi, la pénurie d’éducatrices qualifiées est un défi de premier ordre (Radio-Canada, 2024). Le manque de relève dans la région ne permet pas l’ouverture de nouveaux milieux familiaux ni le remplacement adéquat des éducatrices en CPE qui prendront bientôt leur retraite, qui partent en congé de travail parental ou qui doivent se faire remplacer à l’occasion (Deschênes, 2020). Partout sur notre territoire, de la Baie-des-Chaleurs (Larose, 2020) aux Îles-de-la-Madeleine (St-Onge, 2021), de nombreuses places octroyées par l’État ne sont pas offertes, faute d’éducatrices. Malgré le rehaussement de la rémunération de ces dernières dans les dernières années, les éducatrices réclament encore et toujours une juste reconnaissance de leurs compétences et des conditions de travail favorisant l’attractivité de leur profession. Les négociations en cours pour le renouvellement de la convention collective des éducatrices à la petite enfance laissent croire que le gouvernement actuel refuse toujours de mettre en place les conditions adéquates pour régler cette problématique (CSN, 2024). Ce problème est d’autant plus criant que l’embauche dans les dernières années d’éducatrices à la petite enfance dans les écoles primaires à de meilleurs salaires (17% à 22% plus élevés pour des postes comparables), représente une compétition qui contribue à dégarnir les équipes des CPE et des RSG (RGPQ, 2024).
Enfin, bien que de nouvelles places aient été annoncées dans la région, les délais inhérents à l’agrandissement d’un CPE ou la construction d’une nouvelle installation ne répondent pas aux besoins des familles qui cherchent une place actuellement (Bérubé, 2019). De plus, la rigidité des normes imposées par l’état et le manque de prise en compte des réalités régionales (densité démographique plus faible, coûts de construction plus élevés) contribuent à ralentir l’accès réel aux places promises (Radio-Canada, 2024)
Évidemment, ces éléments ne constituent qu’une part des raisons qui peuvent expliquer la situation actuelle. En ce sens, nous invitons nos partenaires à faire des recherches plus approfondies pour dresser un portrait plus exhaustif de la situation afin de collectivement soutenir les familles et les femmes qui sont encore et toujours en attente d’une place qui leur permettra de pleinement participer à leurs collectivités.
Références
Bérubé, J. (2019, 1 octobre). De nouvelles places en garderie à Bonaventure, Maria et New Richmond, ICI Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1326588/nouvelles-places-garderie-cpe-bonaventure-maria-new-richmond
Chouinard, E. (2020, 19 juin). Manque de places en garderie : des parents incapables de retourner au travail, Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1713366/penurie-places-garderie-poupons-quebec-pandemie
Chouinard, T. (2019, 20 février). Maternelle 4 ans: les garderies perdraient des centaines de millions, La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/education/201902/20/01-5215404-maternelle-4-ans-les-garderies-perdraient-des-centaines-de-millions.php
Conférence nationale des syndicats, (2024) Appui aux travailleuses en petite enfance : une centaine de personnes manifestent devant le ministère de la Famille, https://www.csn.qc.ca/actualites/appui-aux-travailleuses-en-petite-enfance-une-centaine-de-personnes-manifestent-devant-le-ministere-de-la-famille/
Courtemanche, A. (2020, 14 février). Les nombreux impacts du manque de places en garderie, ICI Bas-Saint-Laurent. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1523644/cpe-harold-lebel-famille-penurie
Delisle, G. (2020, 17 septembre). Garderies en milieu familial: une grève pour faire bouger les négociations, Le Nouvelliste. https://www.lenouvelliste.ca/actualites/garderies-en-milieu-familial-une-greve-pour-faire-bouger-les-negociations-dba5aab03f866c7bb0b7850a14924faa
Deschênes, J.-F. (2020, 9 juin). Une nouvelle formation pour les éducatrices en garderies à Matane, ICI Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1710421/cpe-petite-enfance-matane-formation-collegia-educatrices
Forcier-Martin, C. (2020, 10 juin). Nombreuses fermetures de garderies en milieu familial, Journal de Montréal. https://www.journaldemontreal.com/2020/06/10/nombreuses-fermetures-de-garderies-en-milieu-familial
FSSS-CSN (2020, 15 janvier). Maternelles 4 ans – Le gouvernement doit éviter les fermetures de services de garde. https://www.fsss.qc.ca/maternelles-4-ans-eviter-fermetures/
Gamache, V. (2020, 18 septembre). Services de garde en milieu familial: à 72 heures d’une grève générale illimitée, ICI Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1734703/negociations-services-garde-milieu-familial-quebec-greve
Institut de la statistique du Québec (2020, 22 juin). Naissances, décès et accroissement naturel, MRC de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, 2015-2019, Gouvernement du Québec. https://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/profils/profil11/societe/demographie/nais_deces/deces11_mrc.htm
Lajoie, G. (2020, 18 juin). Plus de poupons en milieu familial pour contrer la pénurie de places, Journal de Québec. https://www.journaldequebec.com/2020/06/18/plus-de-poupons-en-milieu-familial-pour-contrer-la-penurie-de-places
Larose, I. (2020, 27 mai). Manque de places en garderie : la COVID-19 exacerbe le problème dans la Baie-des-Chaleurs, ICI Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1706839/service-garde-prive-public-coronavirus-fermetures
Larose, I. (2024) CPE de Saint-Elzéar : « Le gouvernement se déresponsabilise », ICI Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2114308/abandon-cpe-saint-elzear-critiques
Radio-Canada. (2019, 4 mars). Quand le manque de places en garderie contribue à la pénurie de main-d’oeuvre, ICI Bas-Saint-Laurent. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1156504/penurie-places-garderie-rimouski-main-doeuvre
Radio-Canada. (2019, 30 octobre). Manque criant de places en garderie à Gaspé, ICI Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1368405/place-garderie-cpe-enfance-gaspe
Radio-Canada (2020, 17 février). Places en garderie aux Îles-de-la-Madeleine : le problème persiste, ICI Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1526994/places-garderie-iles-de-la-madelene-probleme-manque-penurie
Ranallo, M. (8 octobre 2024), Journal de Québec, https://www.journaldequebec.com/2024/10/08/lamelioration-des-conditions-de-travail-des-educatrices-a-la-petite-enfance-est-essentielle-pour-le-developpement-de-nos-enfants
Painchaud, A (2024), Pénurie de main-d’oeuvre inquiétante dans les CPE, Ici Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2099286/cpe-educatrices-penurie-quebec
St-Onge, A. (2021), Mise à jour sur les besoins de places en service de garde à la petite enfance aux Îles-de-la-Madeleine (au 30 septembre 2021), [En ligne] http://developpementsocialauxiles.weebly.com/uploads/5/8/9/1/5891553/mise_a_jour_des_besoins_en_service_de_garde_0-4_ans_aux_%C3%AEles_2021_21_d%C3%A9c_2021__002_.pdf